La guerre est interdite. La Charte des Nations Unies le dit clairement : il est illégal de menacer de recourir, ou de recourir, à la force contre d'autres États. Depuis 1945, la guerre ne constitue plus une façon acceptable de régler les différends qui surgissent entre les États. Pourquoi, alors, parler des règles internationales qui s'appliquent aux conflits armés (donc, à la guerre) et à leurs effets, puisque la Charte a interdit l'usage de la force dans les relations internationales ?
On peut apporter à cette question trois réponses de caractère juridique, avant de dégager une triste conclusion :
- La Charte des Nations Unies n'a pas mis entièrement hors la loi le recours à la force. De fait, en cas d'usage (licite ou illicite) de la force, les États conservent le droit de se défendre, individuellement ou collectivement, contre les attaques qui menacent leur indépendance ou leur territoire.
- L'interdiction de recourir à la force, énoncée dans la Charte, ne s'applique pas aux conflits armés internes (ou guerres civiles).
- Le chapitre VII de la Charte autorise les États membres à faire usage de la force, dans le cadre d'une action collective, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.
- Enfin (mais ceci n'est pas un argument juridique), la Charte des Nations Unies a beau les interdire, nous savons bien que les guerres continuent à éclater. Les conflits armés sont l'une des tristes réalités du monde d'aujourd'hui.
La conclusion s'impose d'elle-même : il est nécessaire de disposer de règles internationales qui limitent les effets de la guerre sur les personnes et les biens et qui protègent certains groupes de personnes particulièrement vulnérables. C'est là le but du droit international humanitaire, dont les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977 sont la principale expression, tandis qu'un important ensemble de règles de droit coutumier constituent une source importante supplémentaire de droit.
D'Henry Dunant au droit international humanitaire actuel
Horrifié par ce qu'il avait vu sur le champ de bataille de Solférino et par l'agonie de tant de soldats blessés, abandonnés à leur sort, Henry Dunant a suggéré d'agir à deux niveaux :
- créer une organisation, afin de porter secours aux militaires blessés : la Croix-Rouge allait naître, et
- conclure un traité international, afin de garantir la protection des blessés sur le champ de bataille : la toute première Convention de Genève allait être signée.
Henry Dunant avait espéré qu'ainsi, il serait possible d'atténuer les souffrances engendrées par la guerre. Ce n'est que plus tard, au soir de sa vie, qu'il a pris position en faveur de l'interdiction de la guerre elle-même.
Nous ne nous pencherons pas ici sur la première proposition de Dunant, c'est-à-dire la création de la Croix-Rouge, dont la première institution fut le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), fondé à Genève en 1863. Nous examinerons plutôt la seconde suggestion d'Henry Dunant, à savoir la création du droit humanitaire, sa substance, et certains des problèmes que pose sa mise en oeuvre. Il convient, cependant, de souligner ici que les règles juridiques ne peuvent, à elles seules, permettre de résoudre les véritables problèmes qu'engendrent les conflits armés. De même, aucune organisation ne pourrait, à elle seule, se charger de régler les multiples problèmes que la guerre entraîne. Pour que les victimes de la guerre bénéficient d'une meilleure protection, il faut, d'une part, le droit international humanitaire et, d'autre part, l'action entreprise par les parties à un conflit armé, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, la communauté des États, les organisations non gouvernementales, et toutes les personnes de bonne volonté.
Après avoir jeté un bref regard sur l'histoire et le développement du droit international humanitaire, nous l'examinerons tel qu'il se présente aujourd'hui.
Le premier traité sur la protection des victimes militaires de la guerre a été élaboré et signé en 1864 à Genève, à l'instigation d'Henry Dunant, lors d'une Conférence diplomatique réunie par le gouvernement suisse, à laquelle ont participé les représentants de presque tous les États qui existaient alors.
En 1899, à La Haye, la protection internationale a été étendue aux membres des forces armées sur mer, blessés, malades et naufragés; en 1929, les prisonniers de guerre ont, à leur tour, été placés sous la protection du droit de Genève.
C'est en 1949 qu'ont été adoptées les quatre Conventions de Genève qui sont toujours en vigueur aujourd'hui. Chacune d'elles porte sur la protection d'une catégorie spécifique de personnes qui ne participent pas, ou plus, aux hostilités.
Ière Convention : pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne;
IIe Convention : pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer;
IIIe Convention : relative au traitement des prisonniers de guerre;
IVe Convention : relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.
Les Conventions de Genève de 1949 sont de toute évidence un legs de la Seconde Guerre mondiale. Partant de l'expérience tragiquement acquise au cours de ce conflit, elles renforcent considérablement la protection juridique des victimes de la guerre, en particulier des civils au pouvoir de l'ennemi. Aujourd'hui, la quasi-totalité des États sont parties aux Conventions de Genève de 1949 qui, acceptées par l'ensemble de la communauté des nations, ont véritablement acquis un caractère universel.
Les différents traités qui constituent ce que l'on nomme le "droit de Genève" ont pour objet le sort des personnes qui ont cessé de combattre ou qui sont tombées au pouvoir de l'ennemi. Ils n'imposent pas de limites à la manière dont les opérations militaires peuvent être menées. Tandis que le "droit de Genève" se développait, les États ont donc, parallèlement et en plusieurs étapes, codifié des règles internationales fixant des limites à la conduite des opérations militaires. Ce que l'on nomme le "droit de La Haye", dont les différentes Conventions de La Haye de 1907 constituent la principale expression, a pour but essentiel de limiter la guerre à des attaques contre des objectifs nécessaires au résultat des opérations militaires. La population civile doit, par conséquent, être protégée contre les attaques militaires.
Les nouvelles Conventions de Genève de 1949 n'ont pas développé les règles du "droit de La Haye". Elles ont, notamment, omis de couvrir un problème pourtant fondamental du droit international humanitaire: la protection de la population civile contre les effets directs des hostilités (attaques contre la population civile, bombardements "aveugles", etc.). On n'avait pas encore tiré les enseignements de Coventry, Dresde, Stalingrad ou Tokyo.
En outre, si de nouvelles technologies ont permis la production de nouvelles armes, c'est-à-dire d'un nouveau potentiel de destruction, elles ont aussi procuré de nouvelles techniques permettant d'assurer la protection des victimes de la guerre.
Avec la décolonisation, le nombre d'États a plus que doublé et de nouveaux types de conflits (les guerres de libération nationale) ont imposé de nouvelles priorités au droit humanitaire.
Enfin, le nombre toujours croissant de guerres civiles et le recours fréquent aux guerres de guérilla ont démontré la nécessité de renforcer la protection des victimes des conflits armés non internationaux.
Afin de relever ces défis, la Suisse a décidé de réunir une Conférence diplomatique à Genève. De 1974 à 1977, deux nouveaux traités de droit international humanitaire - les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève - ont ainsi été élaborés. Adoptés le 8 juin 1977, ils sont depuis lors ouverts pour ratification ou adhésion à tous les États parties aux Conventions de Genève de 1949. La grande majorité des États sont aujourd'hui déjà liés par les deux Protocoles additionnels (ou au moins par l'un d'entre eux). Le CICR n'épargne aucun effort pour inciter les États qui ne l'ont pas encore fait à adhérer, eux aussi, aux Protocoles.
La substance de ce droit : imposer des limites à la guerre
Le droit international humanitaire est devenu un ensemble complexe de règles portant sur toute une gamme de problèmes. Assurément, les six principaux traités (qui contiennent plus de 600 articles) et le réseau très dense de règles coutumières restreignent le recours à la violence en temps de guerre. Cette abondance de règles juridiques ne doit cependant pas nous faire oublier que l'essentiel du droit humanitaire se résume en quelques principes fondamentaux :
a) Les personnes qui ne participent pas, ou ne participent plus, aux hostilités doivent être respectées, protégées et traitées avec humanité. Elles doivent recevoir les soins appropriés, sans aucune discrimination.
b) Les combattants capturés et les autres personnes privées de liberté doivent être traités avec humanité. Ils doivent être protégés contre tous les actes de violence, en particulier contre la torture. Si des poursuites judiciaires sont engagées contre eux, ils doivent bénéficier des garanties fondamentales d'une procédure régulière.
c) Le droit des parties à un conflit armé de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité. Il est interdit d'infliger des maux superflus et des blessures inutiles.
d) Afin d'épargner la population civile, les forces armées doivent en toutes circonstances opérer une distinction entre, d'une part, la population civile et les biens civils et, d'autre part, les objectifs militaires. Ni la population en tant que telle, ni des civils ou des bien civils ne peuvent faire l'objet d'attaques militaires.
Ces principes expriment ce que la Cour internationale de Justice (dans l'affaire du détroit de Corfou) a appelé les "considérations élémentaires d'humanité" et, plus tard, (dans l'Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci) les "principes généraux du droit humanitaire". En tant que principes généraux du droit international, ils constituent le fondement de la protection que le droit confère aux victimes de la guerre. Ils ont force obligatoire en toutes circonstances et aucune dérogation ne peut être autorisée.
Une autre idée fondamentale doit être mentionnée ici : les règles du droit international s'appliquent à tous les conflits armés, quelles que soient leurs origines ou leurs causes. Ces règles doivent être respectées en toutes circonstances et en ce qui concerne toutes les personnes qu'elles protègent, sans aucune discrimination. Le droit humanitaire moderne n'autorise aucun traitement discriminatoire des victimes de la guerre basé sur le concept de "guerre juste".
S'il est vrai que les principes généraux mentionnés ci-dessus s'appliquent à tous les types de conflits armés, deux ensembles de règles spécifiques régissent, d'une part, les conflits armés internationaux et, d'autre part, les conflits armés non internationaux (les guerres civiles).
Différents types de conflits armés
Les conflits armés internationaux sont des conflits qui opposent des États. Les quatre Conventions de Genève de 1949 et leur Protocole additionnel I traitent largement des problèmes humanitaires liés à ce type de conflits. Tout l'ensemble de règles concernant les prisonniers de guerre, leur statut et le traitement qui doit leur être accordé est axé sur les guerres entre États (IIIe Convention). La IVe Convention énonce, notamment, les droits et les obligations d'une puissance occupante, c'est-à-dire de l'État dont les forces armées contrôlent, en partie ou en totalité, le territoire d'un autre État. Le Protocole I ne porte que sur les conflits armés internationaux.
Aux termes du Protocole I du 8 juin 1977, les guerres de libération nationale doivent également être traitées comme des conflits de caractère international. Une guerre de libération nationale est un conflit dans lequel un peuple - dans l'exercice de son droit à l'autodétermination - se bat contre une puissance coloniale. Le concept du droit à l'autodétermination est, aujourd'hui, bien accepté par la communauté internationale. Par contre, les conclusions qui doivent en être tirées pour les besoins du droit humanitaire (et, en particulier, au niveau de son application à certaines situations de conflits) suscitent encore des controverses.
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les journaux ou sur la carte du monde pour se rendre compte que les conflits entre États constituent aujourd'hui l'exception plutôt que la règle. Les conflits armés se déroulent, en majorité, sur le territoire d'un seul État : ce sont des conflits de caractère non international. L'un des traits communs à un grand nombre de ces conflits internes réside dans l'intervention des forces armées d'un autre État, venues soutenir soit le gouvernement, soit les insurgés.
Les règles essentielles du droit humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux sont beaucoup plus simples que celles qui régissent les conflits internationaux. Elles ont, principalement, pour source l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949. Celui-ci enjoint les parties à un conflit interne de respecter certains principes fondamentaux du comportement humanitaire mentionné plus haut. Il est particulièrement important de relever ici que l'article 3 commun aux Conventions a force obligatoire non seulement pour les gouvernements, mais aussi pour les insurgés, sans toutefois conférer un statut spécial à ces derniers.
Le Protocole additionnel II de 1977 complète l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, car il contient un certain nombre de dispositions plus spécifiques. Il contribue ainsi à renforcer la protection humanitaire dans les situations de conflit armé interne. Le Protocole II a, cependant, un champ d'application plus étroit que l'article 3 commun, puisqu'il n'est applicable que lorsque les insurgés contrôlent une partie du territoire national.
Droit humanitaire et droits de l'homme
L'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève concerne les conflits armés internes, c'est-à-dire qu'il porte sur des questions touchant aux affaires intérieures des États. La manière de régler les problèmes intérieurs étant, fondamentalement, l'une des prérogatives des États souverains, il faut considérer comme un grand événement la décision prise en 1949 d'insérer l'article 3 dans chacune des quatre Conventions de Genève. Il convient cependant de se souvenir qu'une année auparavant, en 1948, l'Assemblée générale des Nations Unies avait adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ce document reflétait l'attention croissante portée, sur le plan international, à ce volet important des affaires intérieurs des États. De fait, les règles internationales de protection des droits de l'homme obligent les États à reconnaître et à respecter un certain nombre de droits fondamentaux de la personne humaine et de faire en sorte qu'ils ne soient pas bafoués. Le droit humanitaire en fait de même en temps de conflit armé. Il enjoint les parties à un conflit de respecter et préserver la vie et la dignité des soldats ennemis capturés ou des civils qui sont en leur pouvoir. En quoi le droit humanitaire diffère-t-il donc du droit des droits de l'homme ? S'agit-il, en fait, d'un même droit ?
Il y a convergence entre les buts des droits de l'homme et les objectifs du droit humanitaire. Tant le droit humanitaire que les droits de l'homme visent à restreindre le pouvoir des autorités de l'État, afin de sauvegarder les droits fondamentaux de l'individu. Les traités relatifs aux droits de l'homme (qui s'appuient sur le droit coutumier) parviennent à atteindre largement cet objectif puisqu'ils couvrent pratiquement tous les aspects de la vie. Les règles qu'ils énoncent doivent être appliquées à toutes les personnes et doivent être respectées en toutes circonstances (bien qu'un certain nombre de droits puissent être suspendus dans les situations d'urgence). De son côté, le droit humanitaire ne s'applique qu'en temps de conflit armé. Ses dispositions sont formulées de telle façon que les circonstances particulières de la guerre sont prises en compte. Ses règles ne peuvent être abrogées en aucune circonstance. De manière générale, elles s'appliquent "au travers de la ligne de front", c'est-à-dire que les forces armées doivent respecter le droit humanitaire dans leurs relations avec l'ennemi (et non dans leurs relations avec les ressortissants de leur propre pays). Dans les situations de conflits armés internes, la législation des droits de l'homme et le droit international humanitaire s'appliquent cependant simultanément.
En d'autres termes, le droit humanitaire constitue un ensemble "spécialisé" de règles relevant du droit des droits de l'homme, précisément adaptées aux situations de conflit armé. Un certain nombre de ses dispositions n'ont pas d'équivalent dans la législation des droits de l'homme - c'est le cas, en particulier des règles régissant la conduite des hostilités ou l'emploi des armes. Inversement, le droit des droits de l'homme couvre certains domaines qui échappent au droit humanitaire - les droits politiques de l'individu, par exemple. En dépit des chevauchements qui existent, droit des droits de l'homme et droit humanitaire constituent toujours deux branches distinctes du droit international public.
Mise en oeuvre et contrôle de l'application
Les parties à un traité de droit humanitaire sont tenues de satisfaire aux obligations découlant de ce traité, tandis que tous les États sont tenus de respecter les règles du droit coutumier. Ceci est naturellement le cas de toutes les règles du droit international. En effet, les États doivent respecter leurs engagements internationaux et prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter la mise en oeuvre du droit. Si une partie omet de remplir cette obligation, l'État peut être tenu responsable des conséquences d'un acte illicite.
Les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels demandent aux États parties de prendre un certain nombre de mesures garantissant le respect de leurs engagements. Certaines de ces mesures doivent être prises en temps de paix, d'autres en période de conflit armé. Par souci de brièveté, nous ne citerons ici que trois exemples:
- Instructions aux forces armées et formation : l'ensemble complexe d'obligations qui découlent des Conventions et des Protocoles doivent être traduites dans une langue que peuvent facilement comprendre tous ceux qui doivent respecter ces règles, en particulier les membres des forces armées, en fonction de leur grade et de leur charge. De bons manuels de droit humanitaire jouent un rôle décisif si l'on veut accroître efficacement la connaissance de ce droit parmi les militaires. Des règles qui ne sont pas comprises ou pas connues de ceux qui doivent les respecter n'auront guère d'impact.
- Législation relative à la mise en oeuvre sur le plan national : Un grand nombre de dispositions des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels exigent impérativement de chaque État partie qu'il adopte des lois, instructions et autres dispositions pour assurer le respect de ses obligations internationales. En particulier, les violations graves du droit international humanitaire (communément appelées "crimes de guerre") doivent devenir des crimes punissables selon le droit pénal national. Il en est de même de tout abus de l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge.
- Poursuite pénale contre des personnes susceptibles d'avoir commis une violation grave du droit international humanitaire : L'État qui détient une telle personne est obligé de la poursuivre devant ses propres tribunaux ou de la remettre à un autre État intéressé à sa poursuite. Des violations du droit humanitaire peuvent également être jugées par un tribunal pénal international. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a déjà créé deux instances internationales, à savoir les tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Le 17 juillet 1998, une conférence diplomatique convoquée par les Nations Unies à Rome a adopté le Statut de la Cour pénale internationale. C'est la première fois dans l'histoire qu'une cour internationale permanente est compétente pour juger les crimes commis non seulement au cours de conflits armés internationaux, mais aussi pendant des conflits armés non internationaux. Le fait que la Cour soit compétente pour juger de tels crimes ne modifie en rien l'obligation des États parties de poursuivre les criminels de guerre devant leurs propres tribunaux nationaux.
En ce qui concerne la mise en oeuvre du droit humanitaire par les parties à un conflit armé, il importe de souligner que les États ne sont pas isolés, puisqu'ils appartiennent à la communauté que forme l'ensemble des États ayant adhéré aux traités humanitaires. Les États qui ne sont pas impliqués dans un conflit armé donné sont en droit de vouloir s'assurer que les Conventions de Genève ou les Protocoles (auxquels ils ont adhéré) sont respectés par les parties à ce conflit. On pourrait même aller plus loin et dire que les États ont l'obligation d'oeuvrer en faveur du respect de ces traités par les parties engagées dans un conflit donné. L'article premier des quatre Conventions de Genève et du Protocole I va dans le sens d'une telle interprétation : "Les Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances". Le message paraît clair, mais il semble que ses implications politiques n'ont pas encore été pleinement comprises.
En outre, les Conventions exigent que chaque partie engagée dans un conflit armé désigne un État tiers (neutre) en tant que Puissance protectrice. Une Puissance protectrice est un État chargé de défendre les intérêts de l'une des parties dans le cadre de ses relations avec l'autre partie au conflit. Par conséquent, les Puissances protectrices doivent s'assurer que les belligérants s'acquittent de leurs obligations d'ordre humanitaire.
L'histoire récente montre que, pour des raisons diverses, les États sont désormais peu enclins à désigner des Puissances protectrices. Une institution, qui jouit d'un statut particulier, a donc rempli ce rôle : le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Fondé en 1863 en tant qu'institution caritative, à l'instigation d'Henry Dunant, le CICR a conservé au fil des décennies son caractère d'institution privée, ancrée dans le droit suisse, dont l'organe suprême est composé de ressortissants suisses. Le CICR n'est donc pas une organisation internationale dont les États seraient les membres constituants, comme c'est le cas pour les Nations Unies ou l'Organisation internationale du Travail. Par conséquent, les gouvernements n'exercent aucune influence directe sur les activités du CICR. Cependant, le mandat du CICR a un caractère international et le champ d'action de l'institution couvre le monde entier. Le CICR agit au travers de ses délégués. Les fonds qu'il utilise proviennent des contributions volontaires versées par les États parties aux Conventions de Genève, ainsi que par les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et par des donateurs privés. Pour souligner le rôle particulier que joue le CICR, les États lui ont accordé le statut d'observateur auprès de l'Assemblée générale des Nations Unies.
Institution de droit privé, le CICR a toutefois une contribution importante à apporter à l'application du droit humanitaire par les parties à un conflit armé. Contrairement aux Puissances protectrices, le CICR n'agit pas sur instruction de l'une des parties à un conflit armé. Il agit en son propre nom, en qualité d'intermédiaire neutre entre les forces en présence. Son champ d'action est également beaucoup plus large que celui des Puissances protectrices. De plus, dans ses relations avec les gouvernements, le CICR opte pour la "diplomatie confidentielle". Cette politique permet notamment à ses délégués, dans leurs contacts avec les belligérants, de s'exprimer en termes aussi vigoureux et aussi nets que les circonstances l'exigent. Le CICR ne s'adresse publiquement aux États que lorsque les démarches de caractère confidentiel ne permettent pas d'obtenir les résultats recherchés. En plus de 125 années d'existence, le CICR a acquis une expérience considérable lorsqu'il s'agit de persuader les États et les autres parties engagés dans un conflit armé de respecter le droit humanitaire dans les conflits internationaux comme dans les guerres civiles.
Aux termes des Conventions de Genève, les parties à un conflit armé international sont tenues d'accepter que les délégués du CICR visitent tous les camps de prisonniers de guerre, tous les lieux où des civils de nationalité ennemie peuvent être détenus, ainsi que, de manière générale, l'ensemble d'un territoire occupé. Dans d'autres situations, lorsque les délégués ne disposent pas d'un tel droit d'accès, le CICR peut offrir ses services aux parties à un conflit. En d'autres termes, le CICR peut engager des négociations pour être autorisé à exercer son mandat humanitaire sur le territoire de toutes les parties belligérantes. C'est, en général, ce qui se passe dans le cas de conflits armés non internationaux.
De la même façon, les parties engagées dans un conflit armé doivent autoriser les opérations de secours en faveur des personnes ayant besoin d'assistance - qu'il s'agisse de détenus, de groupes particulièrement vulnérables de civils ou de la population en général, y compris dans des territoires occupés. Les délégués du CICR s'assurent que l'assistance médicale et l'aide alimentaire sont fournies en fonction des besoins et dans le respect d'une stricte impartialité.
La méthode utilisée pour vérifier que le droit humanitaire est respecté varie considérablement par rapport aux procédures prévues dans les traités des droits de l'homme. En effet, ces derniers prévoient, notamment, un système de plaintes formelles portées devant un organe supranational et, dans certains cas, devant un tribunal supranational. Ces plaintes peuvent émaner de simples particuliers, ou d'États. En contraste avec ce système bien construit, le droit humanitaire repose beaucoup plus sur des procédures informelles. Celles-ci n'ont pas pour but principal d'affirmer le droit et de redresser des torts, mais plutôt de convaincre les auteurs d'infractions de modifier leur comportement : il sera ainsi possible d'éviter de nouvelles violations, ce dont bénéficieront toutes les personnes affectées par le conflit.
Conclusion
Le droit international humanitaire a pour but de limiter les souffrances engendrées par la guerre et d'atténuer les effets de celle-ci. Les règles qu'il énonce sont le résultat d'un équilibre délicat entre, d'une part, les exigences de la conduite de la guerre - la "nécessité militaire" - et, d'autre part, les lois de l'humanité. Le droit humanitaire est une question sensible, mais aucune compromission ne peut être tolérée. Ce droit doit être respecté en toutes circonstances, pour assurer la survie des valeurs de l'humanité et, bien souvent, simplement pour protéger des vies humaines. Chacun d'entre nous peut contribuer à faire mieux comprendre les buts essentiels et les principes fondamentaux du droit international humanitaire et en faciliter ainsi le respect accru. Le jour où tous les États et toutes les parties engagés dans des conflits armés respecteront davantage le droit humanitaire, il sera plus facile de créer un monde plus humain.
On peut apporter à cette question trois réponses de caractère juridique, avant de dégager une triste conclusion :
- La Charte des Nations Unies n'a pas mis entièrement hors la loi le recours à la force. De fait, en cas d'usage (licite ou illicite) de la force, les États conservent le droit de se défendre, individuellement ou collectivement, contre les attaques qui menacent leur indépendance ou leur territoire.
- L'interdiction de recourir à la force, énoncée dans la Charte, ne s'applique pas aux conflits armés internes (ou guerres civiles).
- Le chapitre VII de la Charte autorise les États membres à faire usage de la force, dans le cadre d'une action collective, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.
- Enfin (mais ceci n'est pas un argument juridique), la Charte des Nations Unies a beau les interdire, nous savons bien que les guerres continuent à éclater. Les conflits armés sont l'une des tristes réalités du monde d'aujourd'hui.
La conclusion s'impose d'elle-même : il est nécessaire de disposer de règles internationales qui limitent les effets de la guerre sur les personnes et les biens et qui protègent certains groupes de personnes particulièrement vulnérables. C'est là le but du droit international humanitaire, dont les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977 sont la principale expression, tandis qu'un important ensemble de règles de droit coutumier constituent une source importante supplémentaire de droit.
D'Henry Dunant au droit international humanitaire actuel
Horrifié par ce qu'il avait vu sur le champ de bataille de Solférino et par l'agonie de tant de soldats blessés, abandonnés à leur sort, Henry Dunant a suggéré d'agir à deux niveaux :
- créer une organisation, afin de porter secours aux militaires blessés : la Croix-Rouge allait naître, et
- conclure un traité international, afin de garantir la protection des blessés sur le champ de bataille : la toute première Convention de Genève allait être signée.
Henry Dunant avait espéré qu'ainsi, il serait possible d'atténuer les souffrances engendrées par la guerre. Ce n'est que plus tard, au soir de sa vie, qu'il a pris position en faveur de l'interdiction de la guerre elle-même.
Nous ne nous pencherons pas ici sur la première proposition de Dunant, c'est-à-dire la création de la Croix-Rouge, dont la première institution fut le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), fondé à Genève en 1863. Nous examinerons plutôt la seconde suggestion d'Henry Dunant, à savoir la création du droit humanitaire, sa substance, et certains des problèmes que pose sa mise en oeuvre. Il convient, cependant, de souligner ici que les règles juridiques ne peuvent, à elles seules, permettre de résoudre les véritables problèmes qu'engendrent les conflits armés. De même, aucune organisation ne pourrait, à elle seule, se charger de régler les multiples problèmes que la guerre entraîne. Pour que les victimes de la guerre bénéficient d'une meilleure protection, il faut, d'une part, le droit international humanitaire et, d'autre part, l'action entreprise par les parties à un conflit armé, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, la communauté des États, les organisations non gouvernementales, et toutes les personnes de bonne volonté.
Après avoir jeté un bref regard sur l'histoire et le développement du droit international humanitaire, nous l'examinerons tel qu'il se présente aujourd'hui.
Le premier traité sur la protection des victimes militaires de la guerre a été élaboré et signé en 1864 à Genève, à l'instigation d'Henry Dunant, lors d'une Conférence diplomatique réunie par le gouvernement suisse, à laquelle ont participé les représentants de presque tous les États qui existaient alors.
En 1899, à La Haye, la protection internationale a été étendue aux membres des forces armées sur mer, blessés, malades et naufragés; en 1929, les prisonniers de guerre ont, à leur tour, été placés sous la protection du droit de Genève.
C'est en 1949 qu'ont été adoptées les quatre Conventions de Genève qui sont toujours en vigueur aujourd'hui. Chacune d'elles porte sur la protection d'une catégorie spécifique de personnes qui ne participent pas, ou plus, aux hostilités.
Ière Convention : pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne;
IIe Convention : pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer;
IIIe Convention : relative au traitement des prisonniers de guerre;
IVe Convention : relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.
Les Conventions de Genève de 1949 sont de toute évidence un legs de la Seconde Guerre mondiale. Partant de l'expérience tragiquement acquise au cours de ce conflit, elles renforcent considérablement la protection juridique des victimes de la guerre, en particulier des civils au pouvoir de l'ennemi. Aujourd'hui, la quasi-totalité des États sont parties aux Conventions de Genève de 1949 qui, acceptées par l'ensemble de la communauté des nations, ont véritablement acquis un caractère universel.
Les différents traités qui constituent ce que l'on nomme le "droit de Genève" ont pour objet le sort des personnes qui ont cessé de combattre ou qui sont tombées au pouvoir de l'ennemi. Ils n'imposent pas de limites à la manière dont les opérations militaires peuvent être menées. Tandis que le "droit de Genève" se développait, les États ont donc, parallèlement et en plusieurs étapes, codifié des règles internationales fixant des limites à la conduite des opérations militaires. Ce que l'on nomme le "droit de La Haye", dont les différentes Conventions de La Haye de 1907 constituent la principale expression, a pour but essentiel de limiter la guerre à des attaques contre des objectifs nécessaires au résultat des opérations militaires. La population civile doit, par conséquent, être protégée contre les attaques militaires.
Les nouvelles Conventions de Genève de 1949 n'ont pas développé les règles du "droit de La Haye". Elles ont, notamment, omis de couvrir un problème pourtant fondamental du droit international humanitaire: la protection de la population civile contre les effets directs des hostilités (attaques contre la population civile, bombardements "aveugles", etc.). On n'avait pas encore tiré les enseignements de Coventry, Dresde, Stalingrad ou Tokyo.
En outre, si de nouvelles technologies ont permis la production de nouvelles armes, c'est-à-dire d'un nouveau potentiel de destruction, elles ont aussi procuré de nouvelles techniques permettant d'assurer la protection des victimes de la guerre.
Avec la décolonisation, le nombre d'États a plus que doublé et de nouveaux types de conflits (les guerres de libération nationale) ont imposé de nouvelles priorités au droit humanitaire.
Enfin, le nombre toujours croissant de guerres civiles et le recours fréquent aux guerres de guérilla ont démontré la nécessité de renforcer la protection des victimes des conflits armés non internationaux.
Afin de relever ces défis, la Suisse a décidé de réunir une Conférence diplomatique à Genève. De 1974 à 1977, deux nouveaux traités de droit international humanitaire - les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève - ont ainsi été élaborés. Adoptés le 8 juin 1977, ils sont depuis lors ouverts pour ratification ou adhésion à tous les États parties aux Conventions de Genève de 1949. La grande majorité des États sont aujourd'hui déjà liés par les deux Protocoles additionnels (ou au moins par l'un d'entre eux). Le CICR n'épargne aucun effort pour inciter les États qui ne l'ont pas encore fait à adhérer, eux aussi, aux Protocoles.
La substance de ce droit : imposer des limites à la guerre
Le droit international humanitaire est devenu un ensemble complexe de règles portant sur toute une gamme de problèmes. Assurément, les six principaux traités (qui contiennent plus de 600 articles) et le réseau très dense de règles coutumières restreignent le recours à la violence en temps de guerre. Cette abondance de règles juridiques ne doit cependant pas nous faire oublier que l'essentiel du droit humanitaire se résume en quelques principes fondamentaux :
a) Les personnes qui ne participent pas, ou ne participent plus, aux hostilités doivent être respectées, protégées et traitées avec humanité. Elles doivent recevoir les soins appropriés, sans aucune discrimination.
b) Les combattants capturés et les autres personnes privées de liberté doivent être traités avec humanité. Ils doivent être protégés contre tous les actes de violence, en particulier contre la torture. Si des poursuites judiciaires sont engagées contre eux, ils doivent bénéficier des garanties fondamentales d'une procédure régulière.
c) Le droit des parties à un conflit armé de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité. Il est interdit d'infliger des maux superflus et des blessures inutiles.
d) Afin d'épargner la population civile, les forces armées doivent en toutes circonstances opérer une distinction entre, d'une part, la population civile et les biens civils et, d'autre part, les objectifs militaires. Ni la population en tant que telle, ni des civils ou des bien civils ne peuvent faire l'objet d'attaques militaires.
Ces principes expriment ce que la Cour internationale de Justice (dans l'affaire du détroit de Corfou) a appelé les "considérations élémentaires d'humanité" et, plus tard, (dans l'Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci) les "principes généraux du droit humanitaire". En tant que principes généraux du droit international, ils constituent le fondement de la protection que le droit confère aux victimes de la guerre. Ils ont force obligatoire en toutes circonstances et aucune dérogation ne peut être autorisée.
Une autre idée fondamentale doit être mentionnée ici : les règles du droit international s'appliquent à tous les conflits armés, quelles que soient leurs origines ou leurs causes. Ces règles doivent être respectées en toutes circonstances et en ce qui concerne toutes les personnes qu'elles protègent, sans aucune discrimination. Le droit humanitaire moderne n'autorise aucun traitement discriminatoire des victimes de la guerre basé sur le concept de "guerre juste".
S'il est vrai que les principes généraux mentionnés ci-dessus s'appliquent à tous les types de conflits armés, deux ensembles de règles spécifiques régissent, d'une part, les conflits armés internationaux et, d'autre part, les conflits armés non internationaux (les guerres civiles).
Différents types de conflits armés
Les conflits armés internationaux sont des conflits qui opposent des États. Les quatre Conventions de Genève de 1949 et leur Protocole additionnel I traitent largement des problèmes humanitaires liés à ce type de conflits. Tout l'ensemble de règles concernant les prisonniers de guerre, leur statut et le traitement qui doit leur être accordé est axé sur les guerres entre États (IIIe Convention). La IVe Convention énonce, notamment, les droits et les obligations d'une puissance occupante, c'est-à-dire de l'État dont les forces armées contrôlent, en partie ou en totalité, le territoire d'un autre État. Le Protocole I ne porte que sur les conflits armés internationaux.
Aux termes du Protocole I du 8 juin 1977, les guerres de libération nationale doivent également être traitées comme des conflits de caractère international. Une guerre de libération nationale est un conflit dans lequel un peuple - dans l'exercice de son droit à l'autodétermination - se bat contre une puissance coloniale. Le concept du droit à l'autodétermination est, aujourd'hui, bien accepté par la communauté internationale. Par contre, les conclusions qui doivent en être tirées pour les besoins du droit humanitaire (et, en particulier, au niveau de son application à certaines situations de conflits) suscitent encore des controverses.
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les journaux ou sur la carte du monde pour se rendre compte que les conflits entre États constituent aujourd'hui l'exception plutôt que la règle. Les conflits armés se déroulent, en majorité, sur le territoire d'un seul État : ce sont des conflits de caractère non international. L'un des traits communs à un grand nombre de ces conflits internes réside dans l'intervention des forces armées d'un autre État, venues soutenir soit le gouvernement, soit les insurgés.
Les règles essentielles du droit humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux sont beaucoup plus simples que celles qui régissent les conflits internationaux. Elles ont, principalement, pour source l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949. Celui-ci enjoint les parties à un conflit interne de respecter certains principes fondamentaux du comportement humanitaire mentionné plus haut. Il est particulièrement important de relever ici que l'article 3 commun aux Conventions a force obligatoire non seulement pour les gouvernements, mais aussi pour les insurgés, sans toutefois conférer un statut spécial à ces derniers.
Le Protocole additionnel II de 1977 complète l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, car il contient un certain nombre de dispositions plus spécifiques. Il contribue ainsi à renforcer la protection humanitaire dans les situations de conflit armé interne. Le Protocole II a, cependant, un champ d'application plus étroit que l'article 3 commun, puisqu'il n'est applicable que lorsque les insurgés contrôlent une partie du territoire national.
Droit humanitaire et droits de l'homme
L'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève concerne les conflits armés internes, c'est-à-dire qu'il porte sur des questions touchant aux affaires intérieures des États. La manière de régler les problèmes intérieurs étant, fondamentalement, l'une des prérogatives des États souverains, il faut considérer comme un grand événement la décision prise en 1949 d'insérer l'article 3 dans chacune des quatre Conventions de Genève. Il convient cependant de se souvenir qu'une année auparavant, en 1948, l'Assemblée générale des Nations Unies avait adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ce document reflétait l'attention croissante portée, sur le plan international, à ce volet important des affaires intérieurs des États. De fait, les règles internationales de protection des droits de l'homme obligent les États à reconnaître et à respecter un certain nombre de droits fondamentaux de la personne humaine et de faire en sorte qu'ils ne soient pas bafoués. Le droit humanitaire en fait de même en temps de conflit armé. Il enjoint les parties à un conflit de respecter et préserver la vie et la dignité des soldats ennemis capturés ou des civils qui sont en leur pouvoir. En quoi le droit humanitaire diffère-t-il donc du droit des droits de l'homme ? S'agit-il, en fait, d'un même droit ?
Il y a convergence entre les buts des droits de l'homme et les objectifs du droit humanitaire. Tant le droit humanitaire que les droits de l'homme visent à restreindre le pouvoir des autorités de l'État, afin de sauvegarder les droits fondamentaux de l'individu. Les traités relatifs aux droits de l'homme (qui s'appuient sur le droit coutumier) parviennent à atteindre largement cet objectif puisqu'ils couvrent pratiquement tous les aspects de la vie. Les règles qu'ils énoncent doivent être appliquées à toutes les personnes et doivent être respectées en toutes circonstances (bien qu'un certain nombre de droits puissent être suspendus dans les situations d'urgence). De son côté, le droit humanitaire ne s'applique qu'en temps de conflit armé. Ses dispositions sont formulées de telle façon que les circonstances particulières de la guerre sont prises en compte. Ses règles ne peuvent être abrogées en aucune circonstance. De manière générale, elles s'appliquent "au travers de la ligne de front", c'est-à-dire que les forces armées doivent respecter le droit humanitaire dans leurs relations avec l'ennemi (et non dans leurs relations avec les ressortissants de leur propre pays). Dans les situations de conflits armés internes, la législation des droits de l'homme et le droit international humanitaire s'appliquent cependant simultanément.
En d'autres termes, le droit humanitaire constitue un ensemble "spécialisé" de règles relevant du droit des droits de l'homme, précisément adaptées aux situations de conflit armé. Un certain nombre de ses dispositions n'ont pas d'équivalent dans la législation des droits de l'homme - c'est le cas, en particulier des règles régissant la conduite des hostilités ou l'emploi des armes. Inversement, le droit des droits de l'homme couvre certains domaines qui échappent au droit humanitaire - les droits politiques de l'individu, par exemple. En dépit des chevauchements qui existent, droit des droits de l'homme et droit humanitaire constituent toujours deux branches distinctes du droit international public.
Mise en oeuvre et contrôle de l'application
Les parties à un traité de droit humanitaire sont tenues de satisfaire aux obligations découlant de ce traité, tandis que tous les États sont tenus de respecter les règles du droit coutumier. Ceci est naturellement le cas de toutes les règles du droit international. En effet, les États doivent respecter leurs engagements internationaux et prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter la mise en oeuvre du droit. Si une partie omet de remplir cette obligation, l'État peut être tenu responsable des conséquences d'un acte illicite.
Les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels demandent aux États parties de prendre un certain nombre de mesures garantissant le respect de leurs engagements. Certaines de ces mesures doivent être prises en temps de paix, d'autres en période de conflit armé. Par souci de brièveté, nous ne citerons ici que trois exemples:
- Instructions aux forces armées et formation : l'ensemble complexe d'obligations qui découlent des Conventions et des Protocoles doivent être traduites dans une langue que peuvent facilement comprendre tous ceux qui doivent respecter ces règles, en particulier les membres des forces armées, en fonction de leur grade et de leur charge. De bons manuels de droit humanitaire jouent un rôle décisif si l'on veut accroître efficacement la connaissance de ce droit parmi les militaires. Des règles qui ne sont pas comprises ou pas connues de ceux qui doivent les respecter n'auront guère d'impact.
- Législation relative à la mise en oeuvre sur le plan national : Un grand nombre de dispositions des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels exigent impérativement de chaque État partie qu'il adopte des lois, instructions et autres dispositions pour assurer le respect de ses obligations internationales. En particulier, les violations graves du droit international humanitaire (communément appelées "crimes de guerre") doivent devenir des crimes punissables selon le droit pénal national. Il en est de même de tout abus de l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge.
- Poursuite pénale contre des personnes susceptibles d'avoir commis une violation grave du droit international humanitaire : L'État qui détient une telle personne est obligé de la poursuivre devant ses propres tribunaux ou de la remettre à un autre État intéressé à sa poursuite. Des violations du droit humanitaire peuvent également être jugées par un tribunal pénal international. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a déjà créé deux instances internationales, à savoir les tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Le 17 juillet 1998, une conférence diplomatique convoquée par les Nations Unies à Rome a adopté le Statut de la Cour pénale internationale. C'est la première fois dans l'histoire qu'une cour internationale permanente est compétente pour juger les crimes commis non seulement au cours de conflits armés internationaux, mais aussi pendant des conflits armés non internationaux. Le fait que la Cour soit compétente pour juger de tels crimes ne modifie en rien l'obligation des États parties de poursuivre les criminels de guerre devant leurs propres tribunaux nationaux.
En ce qui concerne la mise en oeuvre du droit humanitaire par les parties à un conflit armé, il importe de souligner que les États ne sont pas isolés, puisqu'ils appartiennent à la communauté que forme l'ensemble des États ayant adhéré aux traités humanitaires. Les États qui ne sont pas impliqués dans un conflit armé donné sont en droit de vouloir s'assurer que les Conventions de Genève ou les Protocoles (auxquels ils ont adhéré) sont respectés par les parties à ce conflit. On pourrait même aller plus loin et dire que les États ont l'obligation d'oeuvrer en faveur du respect de ces traités par les parties engagées dans un conflit donné. L'article premier des quatre Conventions de Genève et du Protocole I va dans le sens d'une telle interprétation : "Les Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances". Le message paraît clair, mais il semble que ses implications politiques n'ont pas encore été pleinement comprises.
En outre, les Conventions exigent que chaque partie engagée dans un conflit armé désigne un État tiers (neutre) en tant que Puissance protectrice. Une Puissance protectrice est un État chargé de défendre les intérêts de l'une des parties dans le cadre de ses relations avec l'autre partie au conflit. Par conséquent, les Puissances protectrices doivent s'assurer que les belligérants s'acquittent de leurs obligations d'ordre humanitaire.
L'histoire récente montre que, pour des raisons diverses, les États sont désormais peu enclins à désigner des Puissances protectrices. Une institution, qui jouit d'un statut particulier, a donc rempli ce rôle : le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Fondé en 1863 en tant qu'institution caritative, à l'instigation d'Henry Dunant, le CICR a conservé au fil des décennies son caractère d'institution privée, ancrée dans le droit suisse, dont l'organe suprême est composé de ressortissants suisses. Le CICR n'est donc pas une organisation internationale dont les États seraient les membres constituants, comme c'est le cas pour les Nations Unies ou l'Organisation internationale du Travail. Par conséquent, les gouvernements n'exercent aucune influence directe sur les activités du CICR. Cependant, le mandat du CICR a un caractère international et le champ d'action de l'institution couvre le monde entier. Le CICR agit au travers de ses délégués. Les fonds qu'il utilise proviennent des contributions volontaires versées par les États parties aux Conventions de Genève, ainsi que par les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et par des donateurs privés. Pour souligner le rôle particulier que joue le CICR, les États lui ont accordé le statut d'observateur auprès de l'Assemblée générale des Nations Unies.
Institution de droit privé, le CICR a toutefois une contribution importante à apporter à l'application du droit humanitaire par les parties à un conflit armé. Contrairement aux Puissances protectrices, le CICR n'agit pas sur instruction de l'une des parties à un conflit armé. Il agit en son propre nom, en qualité d'intermédiaire neutre entre les forces en présence. Son champ d'action est également beaucoup plus large que celui des Puissances protectrices. De plus, dans ses relations avec les gouvernements, le CICR opte pour la "diplomatie confidentielle". Cette politique permet notamment à ses délégués, dans leurs contacts avec les belligérants, de s'exprimer en termes aussi vigoureux et aussi nets que les circonstances l'exigent. Le CICR ne s'adresse publiquement aux États que lorsque les démarches de caractère confidentiel ne permettent pas d'obtenir les résultats recherchés. En plus de 125 années d'existence, le CICR a acquis une expérience considérable lorsqu'il s'agit de persuader les États et les autres parties engagés dans un conflit armé de respecter le droit humanitaire dans les conflits internationaux comme dans les guerres civiles.
Aux termes des Conventions de Genève, les parties à un conflit armé international sont tenues d'accepter que les délégués du CICR visitent tous les camps de prisonniers de guerre, tous les lieux où des civils de nationalité ennemie peuvent être détenus, ainsi que, de manière générale, l'ensemble d'un territoire occupé. Dans d'autres situations, lorsque les délégués ne disposent pas d'un tel droit d'accès, le CICR peut offrir ses services aux parties à un conflit. En d'autres termes, le CICR peut engager des négociations pour être autorisé à exercer son mandat humanitaire sur le territoire de toutes les parties belligérantes. C'est, en général, ce qui se passe dans le cas de conflits armés non internationaux.
De la même façon, les parties engagées dans un conflit armé doivent autoriser les opérations de secours en faveur des personnes ayant besoin d'assistance - qu'il s'agisse de détenus, de groupes particulièrement vulnérables de civils ou de la population en général, y compris dans des territoires occupés. Les délégués du CICR s'assurent que l'assistance médicale et l'aide alimentaire sont fournies en fonction des besoins et dans le respect d'une stricte impartialité.
La méthode utilisée pour vérifier que le droit humanitaire est respecté varie considérablement par rapport aux procédures prévues dans les traités des droits de l'homme. En effet, ces derniers prévoient, notamment, un système de plaintes formelles portées devant un organe supranational et, dans certains cas, devant un tribunal supranational. Ces plaintes peuvent émaner de simples particuliers, ou d'États. En contraste avec ce système bien construit, le droit humanitaire repose beaucoup plus sur des procédures informelles. Celles-ci n'ont pas pour but principal d'affirmer le droit et de redresser des torts, mais plutôt de convaincre les auteurs d'infractions de modifier leur comportement : il sera ainsi possible d'éviter de nouvelles violations, ce dont bénéficieront toutes les personnes affectées par le conflit.
Conclusion
Le droit international humanitaire a pour but de limiter les souffrances engendrées par la guerre et d'atténuer les effets de celle-ci. Les règles qu'il énonce sont le résultat d'un équilibre délicat entre, d'une part, les exigences de la conduite de la guerre - la "nécessité militaire" - et, d'autre part, les lois de l'humanité. Le droit humanitaire est une question sensible, mais aucune compromission ne peut être tolérée. Ce droit doit être respecté en toutes circonstances, pour assurer la survie des valeurs de l'humanité et, bien souvent, simplement pour protéger des vies humaines. Chacun d'entre nous peut contribuer à faire mieux comprendre les buts essentiels et les principes fondamentaux du droit international humanitaire et en faciliter ainsi le respect accru. Le jour où tous les États et toutes les parties engagés dans des conflits armés respecteront davantage le droit humanitaire, il sera plus facile de créer un monde plus humain.
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