Des montages photo tournent sur la Toile. Ils présentent notamment des écrins qui remplacent les alliances de mariage par des timbres fiscaux.
Les nouvelles mesures fiscales du gouvernement de Mehdi Jomaa soulèvent des critiques. Elles touchent notamment au mariage et à l’accès du citoyen à l’appareil judiciaire. Explications.
L’Etat tunisien est exsangue financièrement. Le gouvernement de Mehdi Jomaa cherche désespérément de nouvelles ressources pour boucler les fins de mois. Le projet de loi de finance en discussion à l’Assemblée constituante prévoit de nouvelles taxes, toutes plus originales que les autres pour le citoyen tunisien. Les consommateurs devront ainsi payer de nouvelles taxes sur : le tabac, les cartes de recharge pour la téléphonie mobile, les tickets de loto sportif. Mais c'est l’instauration de timbres fiscaux sur les contrats de mariage et sur les recours judiciaires, prévue aussi par le texte, qui fait le plus jaser. Les réseaux sociaux n’ont pas tardé à réagir. Le gouvernement de Medhi Jomaa est qualifié de "maniaque du timbre". Les alliances d'un mariage sont ainsi remplacées par des timbres fiscaux sur de nombreux montages photo. Le ministre des Finances Hakim Ben Hammouda a bien confirmé l’instauration de cette taxe sur le mariage malgré l’opposition de quelques députés.
Hazem Ksouri, avocat au barreau de Tunis et membre influent de la société civile, peste contre les dernières mesures fiscales du gouvernement. "La taxe sur le mariage de 30 dinars (près de 13 euros) peut faire sourire. Mais c’est un acte civil dont l’accès universel n’est plus forcément garanti. Pour beaucoup de Tunisiens, le coût du timbre fiscal peut représenter près de 10 % de leurs revenus", estime l’avocat. Le salaire minimum est de 300 dinars (un peu moins de 150 euros). "C’est totalement incompréhensible. L’Assemblée constituante est dominée par les islamistes. Le parti islamiste Ennahda organisait même des mariages collectifs dans ses fiefs pour promouvoir les valeurs familiales", ajoute Hazem Ksouri.
Inégalité
L’avocat se montre cependant bien plus préoccupé par les nouvelles taxes que devront payer les justiciables. "Le système judiciaire tunisien reste encore très politisé. De nombreux juges se déterminent en fonction de telle ou telle orientation idéologique, ce qui explique notamment les condamnations de chanteurs ou d’artistes sur des bases juridiques totalement inexistantes. Certains magistrats ne cachent même pas leur appartenance à l’islam politique. L’appel est souvent donc inévitable et, en tant qu’avocat, il faut souvent prier pour tomber sur les quelques magistrats soucieux de l’Etat de droit. Maintenant, ce que l’on pourrait appeler le ‘mur de l’argent’ va s’ajouter à cette politisation néfaste de la justice tunisienne. En tant qu’avocat, je paierai de ma propre poche 18 dinars (près de 8 euros) pour un recours en appel. Mon client déboursera pour sa part 30 dinars (près de 13 euros). Un pourvoi devant la cour de cassation coûtera quelque 50 dinars (plus de 21 euros). Certains de mes clients pourront payer mais d’autres non", confie-t-il.
Les internautes ont déjà proposé leur propre modèle de timbre, sur le ton de l'humour.
Le recours devant un tribunal administratif devrait être également taxé de l’ordre de 50 dinars. Est-ce qu’il s’agit d’une volonté d’affaiblir les droits de la défense ? Est-ce que ce gouvernement espère désengorger les tribunaux en incitant les gens à ne pas faire appel ? Difficile à dire, selon Hazem Ksouri. "Ce gouvernement est un rassemblement de comptables. Mais nous allons, hélas, rentrer dans une justice de type censitaire. Le droit à l’appel d’une décision de justice sera interdit aux milieux populaires. La démocratie ne se résume pas à la mise en place d’élections libres. Elle se mesure également à travers la mise en place de l’égalité devant la loi. C’est un mauvais coup porté à la démocratie tunisienne", estime le juriste.
“Jours du gouvernement comptés“
Les recettes fiscales de l’Etat ont été mises à mal par la baisse, notamment, de l’activité économique et par les mauvais résultats de l’industrie touristique. "L’Etat est aussi dépendant de la bonne santé des mines de phosphate de Gafsa (dans le Sud tunisien, ndlr). Les exportations de phosphate et de ses dérivés ont fortement chuté en 2013. Le gouvernement a envisagé un moment de baisser sensiblement les salaires des agents de l’Etat, avant d’y renoncer pour des raisons sociales", précise l’économiste. "L’affaire de ces micro taxes, notamment sur le mariage, peut apparaître anecdotique. Elle montre surtout que la mise en place d’un gouvernement de technocrates, attendus justement sur les questions économiques, n’a pas permis de redresser la situation difficile du pays. Il n’y a pas eu d’effet Mehdi Jomaa", précise Mongi Boughzala.
Le chômage des jeunes diplômés dépasse ainsi toujours les 50 %. "Les derniers mois d’Ennahda au pouvoir ont été difficiles, commente l'économiste. Les conflits sociaux étaient nombreux. Le paysage social est certes un peu plus apaisé mais les investisseurs internationaux et privés savent que les jours de ce gouvernement sont comptés. Ils attendent tous le résultat des prochaines élections (législatives, ndlr) du mois d’octobre pour savoir si le pays va connaître une certaine stabilité politique propice à leurs activités."
Quels résultats ?
Les résultats budgétaires de ces nouvelles mesures fiscales restent pourtant très minces. "Le timbre fiscal sur le mariage ne devrait rapporter qu’un million de dinars à l’Etat(près de 432 000 euros, ndlr). Les timbres fiscaux sur les procédures d’appel d’une décision de justice permettront d’encaisser seulement 3 millions de dinars. Ces nouvelles taxes auront peu d’incidence sur les comptes de l’Etat", constate Mongi Boughzala, professeur d’économie à l’université El Manar de Tunis.
Le budget de l’Etat dépasse les 28 milliards de dinars (un peu moins de 13 milliards d’euros) avec un déficit d'environ 5 milliards de dinars. "Ces mesures relèvent de l’affichage politique, notamment auprès des investisseurs et des grandes institutions internationales que sont le Fonds monétaire international, la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement. Le gouvernement veut montrer auprès de ces bailleurs qu’il essaie de juguler le déficit budgétaire de l’Etat", estime l’économiste.