"Do no harm", ou en français, "d’abord, ne pas nuire" : le journaliste et universitaire américain Jeff Jarvis, l’un des rares représentants de la société civile participant aux tables rondes de l’e-G8, a interpellé Nicolas Sarkozy pour lui demander de prêter le serment d’Hippocrate envers l’Internet. Durant deux jours, 1 500 invités, pour la plupart issus du monde des entreprises Web, ont été invités à participer à une série de débats sur "la question d’Internet", selon les mots de Maurice Lévy (Publicis), l’organisateur de l’événement souhaité par le président de la République. Au terme de deux jours de discussion, un message commun doit être envoyé aux chefs d’Etats et de gouvernements rassemblés au G8 à Deauville.
Ce message, estime Jeff Jarvis, devrait être "d’abord, ne pas nuire" : "aucun gouvernement ne possède Internet, mais les Etats le voient comme un espace à conquérir". Il est donc important de pas légiférer trop vite, et de ne pas prendre de décisions dommageables pour l’avenir du réseau. "Pourquoi voudriez-vous qu’on vous nuise ?", a rétorqué Nicolas Sarkozy. "Vous représentez un potentiel de croissance extraordinaire. Mais est-ce qu’évoquer la question de la sécurité face au terrorisme, c’est vous nuire ? Est-ce que dire que la création doit être respectée, c’est vous nuire ?"
Si Nicolas Sarkozy a évoqué lors de son discours plusieurs des grands points de clivage entre les gouvernements, les entreprises et les citoyens – lutte contre la pédopornographie ou le terrorisme, protection de la vie privée, droit d’auteur, censure – ces sujets "qui fâchent" ne seront pas tous abordés lors du sommet : seule la question de la propriété intellectuelle fera l’objet d’un débat en séance plénière.
LA CNIL PAS INVITÉE
La protection de la vie privée, présentée comme centrale par le président de la République dans son discours aux entrepreneurs – "Ne laissez pas la révolution que vous avez lancée porter atteinte aux droits élémentaires de chacun à une vie privée et à une pleine autonomie" – est absente des discussions. Dans un communiqué, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) déplore "l'absence de tout régulateur des données personnelles et de la vie privée ainsi que des associations de défense des libertés ou des consommateurs alors même que ce thème figurerait au programme" de la manifestation.
La CNIL, dont aucun représentant n’a été invité à l'e-G8, fait mine de s’interroger : "Lors de cet événement où tout s’achète, combien coûte la protection de la vie privée ? Apparemment pas grand chose !" Entièrement financé par douze sponsors privés et Publicis, le sommet, dont le budget est estimé à trois millions d’euros, laisse une place importante dans les tables rondes aux PDG des entreprises qui l’ont co-financé.
C’est l’un des problèmes que pointe le collectif La Quadrature du Net, qui voit pour sa part dans l’e-G8 un "écran de fumée" et une collusion entre grandes entreprises et gouvernements. "Les gouvernements semblent avoir renoncé à protéger les droits des citoyens face aux entreprises s'engageant dans des activités néfastes. Ils ont conclu une alliance avec certaines de ces entreprises, effrayés par les nouvelles possibilités offertes aux individus par Internet et l'informatique. L'e-G8 est une mise en scène où un gouvernement déconnecté de la civilisation Internet espère apparaître en phase avec celle-ci en se montrant en compagnie de quelques leaders économiques du secteur", assène Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature Du Net.