Tunisie

vendredi 26 septembre 2008

Le XXIè siècle: retour du religieux ?

Ce texe a servi d’éditorial au numéro 353 (juillet 2005) de la revue l’ENA hors les murs qui avait
par Karim Emile BITAR

« Si vraiment les religions doivent survivre, elles devront satisfaire à de nombreuses exigences. Il leur faudra en premier lieu renoncer à toute espèce de pouvoir autre que celui d’une parole désarmée ; elles devront en outre faire prévaloir la compassion sur la raideur doctrinale ; il faudra surtout -et c’est le plus difficile- chercher au fond même de leurs enseignements ce surplus non-dit grâce à quoi chacune peut espérer rejoindre les autres. Car ce n’est pas à l’occasion de superficielles manifestations, qui restent des compétitions, que les vrais rapprochements se font : c’est en profondeur seulement que les distances se raccourcissent. »
Paul Ricoeur[1]
« Que la religion vive ou survive, très bien. Mais qu’elle prétende mettre la loi de Dieu au-dessus de la liberté des hommes, voilà qui paraît inadmissible. »
Jean-Louis Schlegel[2]
Le XIX è siècle a été celui de la supposée « mort de Dieu ». Nietzsche, Freud, Hegel, Marx, Comte, Feuerbach, Darwin, comme bien d’autres philosophes, scientifiques et « maîtres du soupçon » ont, chacun à sa manière, porté des coups très durs et fait subir de véritables humiliations aux religions révélées.[3] Le XX è siècle fut essentiellement celui des totalitarismes, dont Raymond Aron a montré jusqu’à quel point ils étaient des « religions séculières ». Le XXI è siècle est celui d’un supposé « retour du religieux ». Nous disons « supposé » car une question ne peut être occultée : y a-t-il vraiment un retour de cette religion comme « parole désarmée » qu’appelait de ses vœux Paul Ricoeur ? Il est permis d’en douter. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est pas tant un retour du religieux qu’un retour en force de l’idéologisation du religieux, un retour en force de l’instrumentalisation des religions à des fins purement politiques. La fameuse phrase de Charles Péguy selon laquelle « tout commence en mystique, tout se termine en politique » demeure on ne peut plus pertinente. Mais le drame est que nous vivons dans une époque où l’inverse est également vrai, une époque dans laquelle toute poursuite d’objectifs temporels et toute (petite) politique, cherchent à se parer, en les dénaturant, des somptueux oripeaux de la spiritualité, de la mystique et/ou de la religion.
L’idéologisation du religieux
Les événements qui ont suivi l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 sont d’une importance fondamentale pour comprendre les enjeux de la scène géo-politico-religieuse d’aujourd’hui.[4] Dans l’Afghanistan des années 1980, le totalitarisme communiste, religion séculière alors sur le déclin, s’est vu confronté aux représentants d’un courant islamiste prémédiéval, réactionnaire et particulièrement obscurantiste, courant islamiste lui-même instrumentalisé, pour des raisons on ne peut plus profanes, par une religion civile émergente, celle de l’Amérique reaganienne qui préfigurait celle de George W. Bush, ultranationaliste et mâtinée d’une très forte religiosité. C’est dans cette guerre d’Afghanistan qu’est née Al Qaida, incarnation démoniaque de cette idéologisation / kidnapping du religieux. Car il ne faut jamais oublier de rappeler que l’objectif avoué de Ben Laden et d’Al Qaida n’est en rien spirituel, mais consiste au contraire à récupérer le pouvoir temporel que lui confèrerait une restauration du califat.
Le cas des attentats suicides est une parfaite illustration de l’idéologisation du religieux. Un universitaire de Chicago, Robert Pape, a récemment publié une étude importante sur le sujet, qui va à l’encontre de bien des idées reçues.[5] Sur la base d’une recension de tous les attentats suicides commis à travers le monde depuis 25 ans, Robert Pape démontre que la motivation des kamikazes est très rarement liée à la religion. Ainsi, les « leaders mondiaux » des attentats suicides sont les tigres tamouls du Sri Lanka, groupe marxiste léniniste dont les membres, même s’ils sont issus de familles hindoues, sont totalement athées. Leur motivation est idéologique, liée à un conflit territorial. En établissant le parallèle avec les attentats commis par d’autres mouvements terroristes comme le Hamas et le Jihad islamique, Robert Pape est arrivé à la conclusion que la motivation des kamikazes islamistes était tout autant politique que celle des tigres tamouls et que le religieux avait donc été entièrement idéologisé dans le cadre d’un conflit parfaitement temporel.
De même pour les prises d’otages. Attribuer les prises d’otage aujourd’hui fréquentes en Irak à la religion islamique, c’est passer outre le fait, certes peu médiatisé en Occident, que 99 % des prises d’otages recensées par les ONG visent des irakiens musulmans et que près de 100 % de ces prises d’otages ont des motifs crapuleux, dans un pays livré à l’anarchie la plus totale. Continuer d’imputer les injustifiables attentats suicides et les injustifiables prises d’otages à l’islam en tant que religion, c’est adopter la logique et rendre un inestimable service aux crapules qui pour des raisons idéologiques, politiques ou maffieuses ont instrumentalisé et kidnappé cette religion. Il est grand temps que les gouvernements et médias occidentaux apprennent à éviter les pièges à éléphant tendus par Al Qaida, pièges dans lesquels certains foncent tête baissée depuis le 11 septembre. Et il faut ici rendre hommage aux diplomaties française et vaticane, qui ont su raison garder et éviter les écueils.
L’étrange paradoxe : Les religions victimes du « retour du religieux »
Les premières victimes de ce prétendu « retour du religieux » sont à nos yeux les religions elles-mêmes, dont le message originel se dénature et se pervertit jusqu’à en devenir caricatural et inaudible et donc à susciter un rejet et un « nouvel athéisme » dogmatique que nous évoquerons plus bas.
Lorsque Bob Woodward a demandé à George W. Bush si, avant de lancer l’invasion américaine de l’Irak, il avait demandé des conseils à son père, l’homme d’expérience l’ancien président Bush, George W. Bush a répondu qu’il n’en avait pas senti le besoin, mais affirmé par contre sans rire qu’il recevait quotidiennement l’inspiration et les feux verts d’un autre père, Dieu le père en personne.[6] C’est donc un président persuadé de disposer d’une ligne directe avec Dieu qui a déclenché cette guerre fondée sur des mensonges, guerre qui a déjà fait, si l’on en croit le journal médical britannique The Lancet[7], plus de 100.000 victimes civiles, dont les deux tiers seraient des femmes et des enfants. Dieu le père n’en demandait certainement pas tant. Les prédicateurs et télévangélistes qui sermonnent quotidiennement les fondamentalistes protestants qui forment la base électorale de Bush tiennent un discours qui se rapproche beaucoup plus de ceux du croisé Urbain II que de ceux du regretté Jean-Paul II. L’un de ces télévangélistes, le puissant Jerry Falwell, est allé jusqu’à dire que les attentats terroristes du 11 septembre étaient une « punition divine », l’Amérique ayant octroyé, selon lui, des droits indus aux femmes et aux homosexuels. Un autre prédicateur encore plus influent, Pat Robertson, lance fréquemment des appels à une nouvelle croisade contre les disciples de Mohammed. La star des plateaux de télévision et essayiste Anne Coulter, dont les ouvrages se tirent à des millions d’exemplaires, appelle à envahir tout le Moyen-Orient et à convertir de force tous ses dirigeants au christianisme. Il est donc certain que si retour du religieux il y a, cela se fait au détriment de l’authentique et majestueux enseignement de tolérance et de pardon du Nouveau Testament, au détriment du « Génie du Christianisme » magnifiquement décrit par Chateaubriand et en violation flagrante du message de Jean-Paul II, devant la dépouille duquel Bush est hypocritement allé s’incliner, passant outre l’opposition farouche de Jean-Paul II à la peine de mort et sa condamnation absolue et sans appel de cette invasion illégale de l’Irak.
En contextes islamiques, il est encore plus flagrant que ce supposé « retour du religieux » se fait au détriment de la religion et de l’écrasante majorité de ses adeptes. Les alter ego musulmans de Pat Robertson sont légion. Ils n’officient pas sur Fox News mais sur Al Jazira ou dans des mosquées financées par les pétrodollars du wahhabisme. Des centaines d’imams mal embouchés déversent jour après jour une idéologie aussi sotte que mortifère. Leur vision du monde est quasiment la même que celle de Robertson. Etrange et révélateur jeu de miroirs ! Robertson est persuadé dur comme fer qu’il existe une entité homogène[8] ayant pour nom « Islam » qui a déclaré la guerre à une autre entité homogène ayant pour nom « Occident ». Il en veut pour preuves les attentats du 11 septembre, ceux de Madrid, ceux de Londres, etc… Quand aux alter ego musulmans de Robertson, il sont quand à eux persuadés dur comme fer du contraire (ou plutôt de la même chose), c’est-à-dire qu’il existe une entité homogène ayant pour nom « Occident », qui a déclaré la guerre à une autre entité homogène ayant pour nom « Islam ». Ils en veulent quant à eux pour preuves les guerres d’Afghanistan et l’Irak et le soutien inconditionnel de l’Amérique à Israël. Sans s’en rendre compte, télévangélistes et télécoranistes se ressemblent donc comme des jumeaux, des « jumeaux psychiques » aurait dit Freud.[9] Leurs interprétations manichéennes se retrouvent, à quelques nuances et avec quelques variantes près, dans les discours de bien des simplets médiatiquement influents aussi bien en Occident que dans les pays musulmans. Alors, retour du « religieux » ou dialogues de sourds et retour des fous furieux ?
Le « retour du religieux » comme sésame explicatif universel : une faillite intellectuelle
S’il y a incontestablement une instrumentalisation du religieux par certains politiques en mal de légitimité, il nous semble qu’il y a aussi un usage excessif de ce concept du « retour du religieux » par certains intellectuels en mal d’explications holistiques et simples aux problèmes du monde contemporain. Alors que nombre d’intellectuels brillants, Paul Ricoeur, Claude Levi-Strauss, Jürgen Habermas, Edgar Morin, Mohammed Arkoun, Jacques Derrida et beaucoup d’autres, ont analysé subtilement et intelligemment les implications de ce « retour du religieux », il semble qu’à l’heure où nous en avons le plus besoin, la pensée sobrement majestueuse de ces hommes là n’est plus dans l’air du temps. Ceux d’entre eux qui sont encore en vie n’ont pas les honneurs des plateaux de télévision. Leurs disciples sont marginalisés. Le discours médiatiquement dominant est aujourd’hui phagocyté par d’autres intellectuels, ceux que Gilles Deleuze appelait les « champions de la pensée jetable », qui se servent de ce réel ou supposé « retour du religieux » comme d’un sésame explicatif universel. Ces intellectuels là, ainsi que les théoriciens du « choc des civilisations » et les théoriciens du « nouvel athéisme » cherchent à tout expliquer par ce « retour du religieux », le religieux étant dans leur logique primaire synonyme du « culturel ». Ils attribuent tous les malheurs du monde non pas à la folie des hommes mais aux textes sacrés et aux religions elles-mêmes, des religions perçues comme immuables et figées, toute exégèse étant donc à leurs yeux impossible ou superflue. L’un des plus navrants phénomènes de notre époque est cette monumentale paresse intellectuelle, cette démission de la pensée qui consiste à plaquer sur toutes les problématiques géopolitiques mondiales, dans leur infinie diversité, une même grille de lecture infiniment simpliste qui repose sur des facteurs « religieux » ou « culturels ». On fait fi de toutes les conditions historiques, on écarte d’un revers de la main tout le contexte politique, idéologique, économique, social, pour expliquer les comportements de tel ou tel groupuscule issu d’une sphère civilisationnelle donnée par une attitude qui serait supposément inscrite dans leur « culture », dans leur « religion », dans leurs textes sacrés, dans leur épiderme, dans leurs gènes en quelque sorte. On est là au cœur de l’ethnocentrisme aveuglant qu’avait discrédité Claude Levi Strauss dès les années 1950. On est au cœur des éternels dogmes orientalistes dénoncés par Edward Said. On est au cœur de toutes ses fadaises médiatiques contre lesquelles se sont élevés Jacques Derrida et Jürgen Habermas dans leur ouvrage « Philosophy in a time of Terror » (University of Chicago Press, 2003), peut-être le livre le plus important de ces 5 dernières années. On est au cœur de ce « sésame explicatif universel », ce pain béni sur lequel se précipitent les simples d’esprits, soucieux de conforter à peu de frais leurs préjugés à la peau dure.
La déconcertante facilité avec laquelle certains « penseurs-idéologues » contemporains, (Huntington, Lewis, Fukuyama), -ainsi d’ailleurs que leurs alter ego musulmans- ont recours à ce « Culture Talk » comme clé explicative universelle est l’un des plus flagrants symptômes du bond en arrière intellectuel dont nous sommes aujourd’hui témoins. Car que nous disent en fait, Huntington, Lewis, Fukuyama[10] et leurs médiocres et surmédiatisés disciples français, lesquels sont passés du gauchisme le plus niaisement virulent au néoconservatisme le plus aveuglément obtus, sans jamais passer par les cases de la raison, du libéralisme authentique ou de l’humanisme ? Ils nous disent exactement la même chose que ce que l’on entend de la bouche des lepénistes et assimilés aux comptoirs des cafés du commerce. Ils nous disent que « eux » ne sont pas comme « nous ». Ils nous disent que les « autres » sont génétiquement différents de nous, que leur comportement est inscrit dans leur « religion » et dans leur « culture ». Les discours racistes du siècle dernier ont cédé la place aux discours culturalistes d’aujourd’hui, tout aussi pernicieux. De nos jours, des dizaines de « philosophes » aux allures de femmes savantes nous expliquent que le terrorisme, le fondamentalisme, la barbarie sont inscrits dans leur « culture », sont l’émanation directe de leur « religion. Qu’au début du XXI è siècle, des « philosophes » (n’oublions jamais les guillemets dont usait Raymond Aron lorsqu’il évoquait ce genre d’individus) en viennent à remettre en cause l’universalité de l’espèce humaine est un signe de très mauvais augure.
Jusque l’an dernier, nous pensions naïvement que Michel Onfray était plus subtil que les « philosophes » théoriciens du choc des civilisations ci-dessus égratignés. Que nenni. Dans son best-seller intitulé Traité d’Athéologie[11], le théoricien du « nouvel athéisme » Onfray, que l’on avait connu dans le passé bien mieux inspiré, sombre dans un dogmatisme encore plus affligeant que celui qu’il entend dénoncer. Visiblement atteint de plein fouet par la grande maladie de notre époque, celle de l’essentialisme, Onfray essentialise à tout va. Il essentialise le judaïsme, le christianisme, l’islam et même, sans s’en rendre compte, l’athéisme. Rarement on aura vu autant de généralisations outrancières réunies en un seul ouvrage. Revenu de la pêche aux citations issues des textes sacrés et tirées de leur contexte, il les exhibe fièrement étant persuadé, lui aussi, d’avoir découvert le fameux sésame explicatif universel. Ainsi, pour Onfray, le Saint-Esprit serait « foncièrement nazi », la Torah inciterait à des « boucheries généralisées » et il y aurait un « goût musulman pour le sang » ! Onfray pousse le ridicule jusqu’à proclamer (p. 201 de son ouvrage) « Hitler disciple de Saint-Jean », au simple motif qu’Hitler aurait évoqué, au détour d’une phrase, la parabole des marchands du Temple. N’est pas Spinoza qui veut, se dit-on en refermant ce Traité d’Athéologie, qui d’ailleurs rend un bien mauvais service à tous les respectables athées, agnostiques, et humanistes laïcs. Car contrairement à un certain athéisme nietzschéen ou existentialiste qui pouvait légitimement prétendre être un athéisme intelligent ou humaniste, l’athéisme de Michel Onfray est un athéisme dogmatique et dangereux, car il peut, lui aussi, être porteur de haine.
Humanisme et autocritique : pour un retour à Montaigne
Choc des civilisations. Retour du religieux. Terrorisme et guerre contre le terrorisme. Telles sont les expressions à la mode que nous entendons quotidiennement. Pendant ce temps là, trois concepts fondamentaux semblent être passés à la trappe. Il nous incombe de les réhabiliter, nous avons aujourd’hui l’ardente obligation de les remettre à l’honneur. Le premier est celui du Droit International, seule alternative à la Machtpolitik, à la loi de la jungle et à la raison du plus fort. Le second est celui de l’Humanisme, seule réponse à ceux qui veulent mettre la loi de Dieu au dessus de la liberté des hommes. Le troisième, si cher à Jean-Paul II, est celui du dialogue interreligieux.[12] Ce n’est pas un hasard si tous les fanatiques de la terre ont en commun cette haine du Droit International et ce mépris pour les Nations Unies. Ce n’est pas un hasard s’ils ont en commun un anti-humanisme primaire. Ce n’est pas un hasard si dialoguer est pour eux tous l’ultime tabou.

Humanisme et autocritique : souvenons nous de ces deux principales recommandations de Montaigne. A chacun de faire son autocritique. Il est si simple d’accuser les autres. Il est si simple de diviser le monde entre civilisation et barbarie. George Steiner, dans son « Château de Barbe Bleue » a bien montré, à travers l’exemple de l’Europe du XX è siècle, que chaque communauté humaine portait en elle une part de civilisation et une part de barbarie. Répondre à la barbarie des attentats terroristes par la barbarie d’avions F16 larguant des bombes à fragmentation sur des quartiers à haute densité résidentielle est-il vraiment la meilleure façon de combattre le terrorisme ? Refusons l’hémiplégie cérébrale. Que chacun d’entre nous commence donc par se remettre en cause et par critiquer les siens. Notre monde a désespérément besoin de lectures contrapuntiques pour déconstruire les dogmes essentialistes. « Penser contre soi-même », recommandait Adorno. C’est donc d’abord aux humanistes musulmans de s’élever avec force contre l’injustifiable sauvagerie terroriste. C’est d’abord aux humanistes chrétiens de lutter contre les néo-croisés disciples d’Urbain II. C’est d’abord aux humanistes juifs de faire comprendre aux colons fanatiques occupant la Cisjordanie que « la Bible n’est pas un cadastre » comme le disait fréquemment feu Itzhak Rabin. Et c’est également aux athées d’éviter que leur athéisme ne sombre dans la caricature. Nous ne voulons aucunement dire par là qu’un intellectuel doit se contenter de critiquer les siens en épargnant les dérives des autres. Mais évitons, de grâce, de sombrer dans ce communautarisme borné dans lequel chacun se précipiterait de façon pavlovienne à la défense de sa « communauté » et de sa « religion », sans jamais oser affronter les extrémistes de son propre camp.
Un travail de soi sur soi. Une intransigeante volonté de ne pas abandonner l’idéal universaliste. Une détermination à imposer la justice et l’application du droit international. Et parallèlement, lutter fermement et sans aucun angélisme contre toutes les formes de terrorisme et d’idéologisation du religieux. Lutter contre le nihilisme meurtrier. Lutter contre les idéologues assoiffés de pouvoir qui instrumentalisent la religion. Mettre un terme aux injustices pour assécher le terreau qui leur permet de recruter et de se démultiplier. Laïciser les relations internationales. Résoudre de façon équitable les conflits territoriaux de manière à éviter leur transformation en conflits religieux. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons espérer faire l’économie d’un « choc des barbaries » à grande échelle qui nous emporterait tous. Dieu reconnaîtra les siens, diront certains cyniques. Evitons quand même de tenter le diable.
PS. Dans la variante du questionnaire de Proust qu’il sert à ses invités depuis de très nombreuses années, Bernard Pivot a posé à plusieurs centaines de personnalités et d’écrivains la même question : « Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous l’entendre vous dire à votre arrivée au ciel ? ». Appelés à choisir la réponse qu’il leur semblait la plus pertinente, des lycéens ont plébiscité celle de l’écrivain Amin Maalouf, dans laquelle Dieu affirme : « Je ne suis pas responsable des crimes que l’on commet en mon nom ».
[1] Cette phrase a été placée en épigraphe d’un livre de Jean Daniel, Dieu est-il fanatique ? Essai sur une religieuse incapacité de croire, Arléa, 1996.
[2] Nous ne saurions trop conseiller l’excellent ouvrage de Jean-Louis Schlegel, La loi de Dieu contre la Liberté des hommes (Seuil, 2003). A l’instar de notre camarade Odon Vallet dans son Petit lexique des idées fausses sur les religions, (Albin Michel, 2002), Schlegel remet bien des pendules à l’heure.
[3] En 1923, l’une des plus brillantes et admirables figures du siècle, Martin Buber, publiait un livre fondamental, Je et Tu, s’inscrivant en faux contre cette lame de fond positiviste et matérialiste. Pour Buber, l’être humain est d’abord et surtout un homo religiosus et un homo dialogus, qui, pour se réaliser pleinement, a besoin de se confronter à l’altérité et de communier avec l’humanité toute entière.
[4] Un ouvrage important est paru aux Etats-Unis sur ce sujet. Good Muslim, Bad Muslim, America, the Cold War and the roots of terror, Mahmood Mamdani, Pantheon Books, New York, 2004. Le prix Nobel de littérature JM Coetzee considère le livre de Mamdani comme « fondamental et nécessaire à la compréhension du monde contemporain ».
[5] Robert Pape, “Dying to Win, The Strategic Logic of Suicide Terrorism”, The American Political Science Review.
[6] Anecdote rapportée par Bob Woodward dans son livre Plan of Attack, (Simon and Schuster, 2004).
[7] Cette étude de The Lancet a été publié en octobre 2004, et le nombre de victimes civiles a donc atteint aujourd’hui des chiffres bien plus élevés.
[8] Ce dogme orientaliste d’une supposée homogénéité de l’Islam n’en finit pas de faire des ravages. Dans un ouvrage publié en 2002 et intitulé Les amants de l’Apocalypse (Editions de l’Aube), Bruno Etienne écrivait : « tous les commentateurs et audimatistes parlent comme si l’islam était un, alors que, dès les premiers siècles de l’islam, un érudit (Al-Shahrastani) avait relevé cent hérésies. »
[9] “Les fanatiques sont tous pétris de le même merde détrempée de sang corrompu”, écrivait Voltaire, dans une lettre à d’Alembert datée du 12 novembre 1757. Il faisait alors allusion aux fanatiques papistes ainsi qu’aux fanatiques calvinistes, mais cette phrase s’applique parfaitement bien aux fanatiques d’aujourd’hui, qu’ils soient musulmans, juifs, hindous, chrétiens ou autre…
[10] Sur l’arrière fond « raciste » du discours huntingtonien, voir l’article de Carlos Fuentes, Quand Huntington tombe le masque du racisme, in New Perspectives Quarterly, Spring 2004. Quand à Bernard Lewis, maître à penser de Dick Cheney, il suffit de rappeler qu’il a été condamné le 21 juin 1995 par la justice française pour son négationnisme caractérisé du génocide arménien.
[11] Michel Onfray, Traité d’Athéologie, Grasset, 2005
[12] A ceux qui nous accuseraient d’être des utopistes, rappelons qu’il a suffi du courage d’un pape, Jean XXIII, et de quelques années de dialogue, pour mettre un terme à deux millénaires d’un antisémitisme chrétien on ne peut plus virulent. Juifs et musulmans ayant coexisté pacifiquement pendant de nombreux siècles, un réel et sincère dialogue judéo-musulman pourrait aujourd’hui produire des résultats étonnamment positifs.
AU SOMMAIRE DU NUMERO :
Dossier
Le XXIe siècle : retour du religieux? - Karim-Emile Bitar
Le religieux impossible à refouler – André Vingt-Trois
Notre objectif à travers ce dossier - Denis Vilain
La loi de 1905 ou la sagesse du grand âge – Roger Fauroux
L’Europe laïque face au retour du religieux - Michel Rocard
Religion à la carte - Jean-Louis Schlegel
Pour en finir avec « la réforme de l’islam » - Rachid Benzine
Retour du spirituel, retour du religieux ou intérêts profanes ? - Odon Vallet
Humanisme et islam - Mohammed Arkoun
Ce que les musulmans d’aujourd’hui peuvent apprendre du combat des juifs d’hier - Esther Benbassa
L’avenir du dialogue inter religieux – Haïm Korsia
Face à l’antisémitisme et aux radicalisations communautaires, le renouveau du judaïsme - Théo Klein
Bouddhisme et société contemporaine - Matthieu Ricard
Le protestantisme : la religion de Bush est-elle dangereuse ? – Jean Luc Mouton
Le rôle du fondamentalisme religieux dans la politique américaine - Jacques Andréani
Protestants dans la France en guerre1939-1945 – Sylvain Pivot
À propos d’une prédiction apocryphe de Malraux - François Broche
La foi, d’aujourd’hui à demain - Henri Madelin
Les chrétiens qui se réunissent dans les ministères – Denis Vilain
Obéir à Dieu ou à César - Karin Kneissl
L’athéisme – Jean-Luc Nancy
Religion et administration - Laurent Stéfanini
enaassociation
L’Ena dans la presse
Programme des 60 ans de l’Ena
Débats d’Agorena : la République peut-elle se passer de Dieu ? - avec Jospeh Siturk et Denis Tillinac
Rencontre avec des hommes remarquables : Bernard Kouchner et Matthieu Ricard
Carnets
Temps libre
Mélomanie – Arnaud Roffignon et Christophe Jouannard
Éphéméride : 18 août 1503, la mort du pape Alexandre Borgia – Nicolas Mietton
Signets – Robert Chelle Opinions
L’air du temps : actualité du journalisme – Marc Kravetz

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